À Montevideo, le carnaval se déroule sous un ciel d'été et dure plus longtemps que partout ailleurs. De mi-janvier à février (souvent pendant près de 40 jours), les rues de la capitale uruguayenne vibrent de rythmes et de satires. Ici, les racines du carnaval remontent aux esclaves africains de l'époque coloniale, qui préservaient leurs traditions de percussions en faisant la fête autour des remparts de la ville pendant le Carnaval. Après l'émancipation, ces traditions ont donné naissance au « candombe » : des défilés de rue de tambours et de danseurs qui constituent toujours le cœur battant du Carnaval uruguayen.
Au crépuscule, les soirs de défilé, de longues filas (rangées) de tambourinaires, appelées cuerdas de tambores, défilent dans le Barrio Sur et Palermo. Chaque cuerda est composée de dizaines de joueurs de trois tailles de tambours, dont les peaux roulent un rythme contrapuntique qui fait vibrer l'air. Devant les tambours bondissent des personnages costumés : la Vieille Femme et le Vieil Homme comiques, le Ramoneur espiègle, tous se déplaçant d'un pas saccadé et théâtral. Les comparsas (troupes de tambourinaires) du quartier se maquillent, revêtent des écharpes aux couleurs vives et se dirigent vers le célèbre Desfile de las Llamadas. Là, d'innombrables groupes de candombe convergent dans une joyeuse compétition de style et de rythme. Les spectateurs bordent les rues et les balcons de la Vieille Ville, applaudissant et chantant, tandis que nuit après nuit, les défilés de tambours refusent même de s'endormir.
Le jour, d'autres éléments entrent en jeu. Dans les tablados (amphithéâtres temporaires) en plein air, les troupes de murgas présentent des comédies musicales pleines d'esprit. Sur les places et les parcs, des groupes d'artistes masqués – comparsas humoristas, parodistas et enfants du carnaval – chantent des chansons satiriques sur la politique de l'année, les histoires d'amour et les scandales mondains. Les murgas portent des manteaux rapiécés et des chapeaux haut-de-forme ; leur chœur entonne des couplets ponctués de refrains à répondre, tandis que les acteurs miment des scènes burlesques. Ces spectacles regorgent de références locales et d'un humour mordant ; en période de difficultés politiques, ces spectacles sont même devenus des vecteurs de critique sociale. Dans la chaleur poussiéreuse de l'été, un public en liesse remplit ces scènes de rue, acclamant les chœurs qui expriment ouvertement les griefs et les espoirs collectifs.
Le carnaval de Montevideo est autant un renouveau spirituel qu'une tradition. La saison prolongée lui permet de s'intégrer au quotidien plutôt que de le remplacer. Les écoles ferment, les familles se rassemblent pour des pique-niques au son des tambours, et même la présidence marque une pause. Lorsque le dernier cortège de tambours s'éteint, les Uruguayens se sentent un peu plus unis par la danse et les rires partagés. Dans une société fière de son multiculturalisme, les racines du carnaval, tant africaines qu'européennes, en font une affirmation identitaire annuelle. Le Carnaval de Montevideo vit de la sueur des tambours et des vers savants de son peuple ; il célèbre la liberté et la créativité acquises par les générations passées. Alors que les battements des tambours résonnent dans la nuit, il devient évident que c'est plus qu'une longue fête : c'est un véritable battement de cœur culturel qui maintient la ville éveillée, fière et résiliente.