L'âme de Madrid réside en partie dans ses places, véritables espaces ouverts où le passé invite à traverser le temps. Deux places, proches l'une de l'autre, incarnent ce continuum urbain : la Plaza Mayor et la Puerta del Sol.
Plaza Mayor
Conçue en 1617 et achevée en 1619 sous le règne de Philippe III, la Plaza Mayor occupe un bloc rectangulaire délimité par des immeubles résidentiels uniformes de quatre étages. Chaque façade est ornée de fresques rappelant des thèmes allégoriques des ambitions impériales espagnoles, dont certaines ont nécessité une restauration minutieuse après des incendies successifs. Les neuf entrées en arcades de la place offrent un panorama sur le cœur du vieux Madrid, tandis que la statue équestre de Philippe III, sculptée par Juan de Bologna, veille au centre.
Au fil des siècles, la place a accueilli des marchés chaque matin, des proclamations royales et des fêtes religieuses l'après-midi, et même des corridas et des exécutions publiques lorsque l'État exigeait une audience. Ces rites plus sombres ont depuis longtemps cédé la place à des spectacles plus bénins : en décembre, des étals en bois se rassemblent ici pour un marché de Noël, proposant des décorations artisanales et des confiseries aux amandes ; le 15 mai, la fête de San Isidro attire des pèlerins portant des chapelets, dont les pas résonnent sur les pavés de la place.
Malgré ses proportions imposantes, la Plaza Mayor conserve une intimité due à sa taille humaine. À toute heure, les tables des cafés se regroupent sous les balcons en fer forgé, où touristes et locaux s'attardent autour de cortados ou d'assiettes de callos à la madrileña. Des artistes de rue – guitaristes de flamenco ou personnages costumés – offrent des spectacles intermittents qui brisent la symétrie des arcades. Pourtant, même ces divertissements semblent s'inscrire dans la vie publique séculaire de la place, une douce continuité plutôt qu'une intrusion.
Puerta del Sol
Une courte promenade vers le nord mène à la Puerta del Sol, dont l'origine remonte à une porte du XVe siècle percée dans la muraille médiévale de Madrid. Aujourd'hui, elle sert de Kilómetro Cero, le point zéro à partir duquel est mesuré le réseau routier radial espagnol. Ici, une plaque incrustée marque le centre symbolique des autoroutes du pays, tandis qu'au-dessus, l'horloge de la Real Casa de Correos préside à la fois à la circulation et aux traditions. Chaque soir du Nouvel An, des milliers de personnes se rassemblent sous ces cloches pour participer au rituel des Douze Raisins, marquant ainsi le début de l'année avec des bouchées soigneusement chronométrées à chaque coup de minuit.
La place est agrémentée de la statue en bronze de « El Oso y El Madroño », l'ours et l'arbousier qui composent le blason de Madrid. À ses côtés se dressent les anciens bureaux du ministère de l'Intérieur de Franco, aujourd'hui siège du gouvernement régional, dont la façade est ponctuée de plaques honorant les citoyens qui ont résisté au siège napoléonien de 1808 et ceux qui ont péri lors des enlèvements et des attentats du 11 mars 2004. Ces plaques commémoratives rappellent aux passants la capacité de Madrid à survivre aux conflits et aux tragédies.
Contrairement au calme plus mesuré de la Plaza Mayor, la Puerta del Sol vibre d'un mouvement constant. Les chauffeurs de taxi s'arrêtent en périphérie, les musiciens de rue élèvent la voix pour couvrir le vacarme, et les clients émergent des rues piétonnes avoisinantes, les sacs des boutiques phares et des ateliers. Les lignes de métro convergent ici, dispersant l'humanité le long d'axes artériels qui rayonnent dans chaque quartier. Pourtant, même au milieu de ce vacarme, la Puerta del Sol conserve son rôle de lieu de rencontre et de mémoire – un récit spatial de l'évolution de la ville, d'enclave fortifiée à métropole ouverte.
Les deux places sont ouvertes à toute heure ; aucun portail ne barre l'entrée et l'accès est gratuit. Que l'on s'arrête pour lire une plaque, s'asseoir sur un banc de pierre sous une arche ou simplement observer la lumière changeante sur des siècles de brique et de pierre, chaque visite devient un fragment de l'histoire collective de Madrid.